Théorie d’inspiration prohibitionniste, selon laquelle l’usage d’une drogue considérée comme à faible risque de dépendance, conduit, avec un lien de cause à effet, à la consommation de substances à l’origine d’une dépendance de plus en plus forte. Actuellement, l’expression « théorie de l’escalade » se réfère plus fréquemment à la « gateway theory » (théorie de la porte d’entrée), qui a émergé dans les années 1980, qu’à la « stepping-stone theory » (ou théorie du tremplin), qui en constitue la version originelle.
La stepping-stone theory (ou théorie du tremplin)
L’idée d’escalade sur une échelle de substance potentiellement à l’origine d’une dépendance de plus en plus forte, a émergé politiquement aux Etats-Unis dans les années 1950, dans un contexte fortement prohibitionniste, pour soutenir une politique radicale de criminalisation du cannabis. La théorie de l’escalade originelle, la stepping-stone theory, se base sur la constatation que tous les usagers de drogues qualifiées alors de « dures » (héroïne, cocaïne, crack…) ont, auparavant, consommé du cannabis (qualifié de drogue « douce »). Elle en déduit que, en raison de l’effet physiologique des drogues, l’initiation d’un usage de cannabis conduit, quasi-systématiquement, à la recherche et à la consommation de drogues à l’origine d’une dépendance plus forte, notamment l’héroïne, dans le contexte de l’époque. Cette théorie, clairement fondée sur une erreur de raisonnement, n'est alors pas soutenue par la communauté scientifique : si les usagers de « drogues dures » ont de fortes probabilités d’avoir initié leur usage de drogues illicites avec le cannabis, seule une petite part des usagers de cannabis ont expérimenté des drogues dites « dures ».
La gateway theory (théorie de la passerelle ou de la porte d’entrée)
Actuellement, l’expression « théorie de l’escalade » se réfère plus fréquemment, par erreur selon certains auteurs, à la gateway theory (théorie de la passerelle ou de la porte d’entrée), qui a émergé dans les années 1980. Originellement, comme la stepping-stone theory, elle s’intéresse plus particulièrement au cannabis comme porte d’entrée vers les drogues dures, puis est ensuite appliquée au lien entre usages par les jeunes de tabac ou d’alcool et consommation de cannabis.
La gateway theory se base sur l’observation, par une majorité d’études statistiques, de l’existence d’un séquencement temporel caractéristique, dans les parcours de consommation, des initiations à différentes substances : schématiquement, les premiers usages concernent les substances licites, (alcool puis tabac), qui précèdent d’éventuels usages de cannabis, alors qu’une part des usagers de cannabis va poursuivre son parcours en consommant des substances plus dangereuses (héroïne, cocaïne…).
La gateway theory, stipule qu’à chaque étape, l’entrée dans la consommation d’une substance, favorise, avec un rôle causal, l’initiation à une substance de risque supérieur. Contrairement à la stepping-stone theory, elle ne considère pas que le passage à une drogue plus risquée est quasi-systématique ou fortement probable. Ainsi, l’usage régulier d’alcool chez les jeunes et plus encore de tabac, « favorise » l’usage ultérieur de cannabis et l’usage de cannabis favorise l’expérimentation d’autres drogues illicites. Ces liens entre l’usage (ou certaines modalités d’usage ou la précocité d’usage) d’une substance et une autre, sont, en outre, attestées par des corrélations statistiquement significatives.
Critiques de la théorie de l’escalade et discussions
L’essentiel des critiques portent sur le caractère causal, ou non, du fait d’entrer dans la consommation du produit A, considéré comme à moindre risque, dans le passage à la consommation du produit B, à risque supérieur.
- Le séquencement ne correspond pas à une escalade du niveau de dépendance physiologique (ex-dépendance physique) ou d’addiction que sont susceptibles d’entrainer les substances. Le classement des drogues douces et des drogues dures, critère où l’on ne distingue, d’ailleurs pas clairement la part de la dépendance physiologique (effet du produit), ni comment elle est évaluée, et la part du potentiel addictogène (dont le produit n’est pas la cause…) a été invalidé. L’évaluation de la dangerosité des substances sur différentes dimensions (potentiel addictif, syndrome de sevrage, toxicité…) a montré, en effet, que le tabac et l’alcool sont parmi les drogues les plus addictives et que l’alcool est responsable d’une dépendance physiologique très forte, remettant en cause cette notion d’escalade d’une échelle des drogues. (reynaud). Certains chercheurs ont montré également que ce schéma n’est pas universel et peut dépendre des contextes. En outre, de nombreux produits (en particulier récréatifs) n’apparaissent pas dans ce classement. Dès lors, la responsabilité des caractéristiques intrinsèques de la substance 1 sur l’initiation à la substance 2 apparait improbable. Les substances apparaissent successivement expérimentées sur une échelle d’accessibilité croissante, qui expliquerait plus vraisemblablement le séquencement.
- La théorie de l’escalade interprète une corrélation statistique, qui est réelle, comme un lien de causalité, ce que les études statistiques ne sont pas en capacité de montrer. Le développement de l’addiction (ex-dépendance psychique) est un processus multifactoriel qui répond à des vulnérabilités personnelles, physiologiques, psychiques et sociales, liées à l’histoire personnelle de la personne, et installées en amont des troubles de l’usage de substances, à des facteurs contextuels, à l’entourage… Ce sont avant tout l’ensemble de ces facteurs qui vont favoriser l’évolution vers l’usage addictif d’un produit et la poursuite du parcours de consommation avec d’autres drogues. Si la dépendance (ex-dépendance physique), est bien en lien avec l’effet physiologique de la substance sur le corps, elle n’entraine pas de pas de dépendance croisée entre l’alcool et le cannabis ou entre le cannabis et l’héroïne et ne peut expliquer un passage de l’un à l’autre. Un autre facteur comme la fréquentation des milieux festifs crée des opportunités de s’initier à plusieurs substances.
- Une influence causale propre de la consommation d’un produit de la consommation du produit 1 sur l’initiation à un produit 2, dans un système multifactoriel, est néanmoins envisagée par les chercheurs, mais basées sur d’autres facteurs que le produit lui-même : par exemple, l’approvisionnement en produit 1, donnerait l’occasion d’accéder au produit 2 (accès à un dealer, à un réseau…), la fréquentation de consommateur du produit 1, donnerait des opportunités d’initiation ; la proximité des modes d’usage est aussi un facteur suggéré, par exemple pour passer du tabac au cannabis. Une part des recherches se concentrent actuellement sur le rôle que pourrait jouer le vapotage de jeunes préalablement non-fumeurs sur le passage au tabagisme.
- Enfin, la théorie de l’escalade est accusée de servir une politique prohibitionniste, par l’interdiction des substances de début de parcours (cannabis) en interdisant l’usage des substances de début de parcours (cannabis), non seulement inefficace si la consommation d’un produit n’est pas la cause du passage au suivant, mais pouvant apparaitre également contre-productive, si elle empêche rechercher ou de mettre en œuvre des actions qui pourraient être efficaces (prévention, repérage, accès aux soins…). A noter, l’interdiction aux mineurs d’accéder au tabac ou à l’alcool, se justifie moins par la théorie de l’escalade que par les risques de ces substances elles-mêmes majoré dur un cerveau en pleine maturation.
Finalement, les usages et surtout les usages réguliers ou « problématiques » de substances dont la consommation est répandue (alcool, tabac, cannabis) peut être considéré comme le marqueur d’un risque d’évolution vers des pratiques de plus en plus délétères, qu’il s’agisse des modes de consommation, des substances consommées, ou d’addiction comportementale (sans produit), comme signes d’appel pour s’en préoccuper.
- Pour aller plus loin : Aurélie Mayet, 2012, Étude des trajectoires d’usage de substances psychoactives chez l’adolescent et l’adulte jeune : Exploration de la théorie de l’escalade. Médecine humaine et pathologie. Université René Descartes - Paris V, 2012. Français. https://theses.hal.science/tel-00725997