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Quels sont les objectifs de la légalisation?
Tous les États qui ont légalisé le cannabis revendiquent deux objectifs communs. D’abord, un objectif de santé publique : prévenir la consommation parmi les mineurs et chez les adultes réduire les risques liés à la consommation en contrôlant les produits qu’ils consomment. Deuxièmement, un objectif de sécurité publique : reprendre le contrôle du marché en neutralisant le trafic et les réseaux de criminalité associée.
Ces deux objectifs centraux doivent aussi cohabiter avec des objectifs de développement économique et de profit, qui ne sont pas toujours explicités mais qui sont bien présents, notamment aux États-Unis.
Enfin, plus récemment, les réformes de légalisation faites dans certains Etats américains mettent l’accent sur un objectif dit de justice sociale (social equity), qui consiste à organiser la transition des acteurs du marché noir d’hier vers le nouveau marché légal.
Quels sont les défis de la légalisation du cannabis ?
Le principal défi de la légalisation, c’est de tenir ensemble tous ces objectifs qui, en pratique, peuvent être contradictoires.
La fiscalité appliquée au cannabis illustre bien les difficultés de cette régulation qui est tiraillée entre l’objectif de développer un marché légal du cannabis qui soit profitable et celui de préserver la santé publique.
En clair : une taxation trop élevée sur le cannabis, qui signifie un prix élevé pour le consommateur, risque de détourner une partie des consommateurs du marché légal et donc d’entretenir le marché noir. À l’inverse, une taxation trop faible, qui garantit certes un prix plus bas pour le consommateur, risque d’encourager la consommation en augmentant l’accessibilité du cannabis.
Un des défis de la régulation est la recherche permanente du point d’équilibre: dans le niveau de taxation, et plus généralement dans le degré d’encadrement de la consommation et dans les contraintes réglementaires appliquées aux producteurs.
Dans l’étude que nous avons menée en Amérique du Nord (ASTRACAN), on a pu décrire ces arbitrages des pouvoirs publics, qui évoluent chemin faisant.
On a pu montrer que la régulation du cannabis est un processus très dynamique, qui implique des ajustements permanents, sur la fiscalité, sur les modalités de distribution, sur les procédures de traçabilité, etc.
Quel bilan de la légalisation en Amérique du Nord ?
On dispose aujourd’hui de 10 ans de recul sur les toutes premières expériences de légalisation, en Uruguay et aux États-Unis. Aux Etats-Unis, ce mouvement de légalisation s’est accéléré depuis les premières initiatives de réforme au Colorado et dans l’État de Washington puisque, depuis 2018, chaque année, au moins un nouvel État saute le pas.
Au titre du bilan, on peut faire ressortir trois éléments principaux.
Tout d’abord, la grande variété des modèles de régulation, qui vont d’une logique de monopole public en Uruguay ou au Québec, avec une interdiction totale de la publicité et de toute promotion des produits du cannabis, jusqu’au modèle libéral généralement pratiqué aux États-Unis, où une offre commerciale abondante et diversifiée a vu le jour. Entre ces deux pôles, on a un nuancier d’autres modèles qui recherchent leur point d’équilibre, à l’image des provinces canadiennes qui ont chacune leur modèle de distribution et de vente.
Le deuxième constat porte sur l’ampleur du développement économique du secteur du cannabis et les recettes fiscales induites par la légalisation. Au Colorado par ex., le marché légal du cannabis, c’est un chiffre d’affaires annuel de 1,5 milliards de dollars, soit plus de 274 millions de dollars de recettes fiscales en 2023. C’est plus que l’alcool et les cigarettes réunis. Cependant, le secteur du cannabis connaît un tassement généralisé depuis 2022, sur les marchés étatsunien et canadien.
S’agissant de la promesse de la légalisation d’assécher le marché noir, on voit effectivement un recul progressif du marché illicite, qui est particulièrement net au Canada : la proportion de consommateurs qui s’approvisionnent sur le marché légal est passée de 37 % en 2019 à 73 % en 2023. Mais, paradoxalement, dans certains États, la légalisation a contribué à un rebond du marché noir. C’est par exemple le cas en Californie, ou encore en Uruguay.
Troisième élément de bilan : l’évolution de la consommation de cannabis après la légalisation. Chez les mineurs elle est restée stable, et même en baisse dans certains États. Mais on ne peut pas affirmer que c’est directement un effet de la légalisation car on retrouve cette baisse dans de nombreux États qui n’ont pas légalisé. En revanche, chez les majeurs la consommation de cannabis tend à augmenter, en particulier aux Etats-Unis où on observe une diversification des clientèles et des modes de consommation, avec notamment une montée en charge du vapotage.